La neutralité carbone est vue comme une panacée par les uns, du greenwashing par les autres. Existe-t-il une bonne manière de faire? Contribuer à la Neutralité Carbone peut il aider la biodiversité ou renforcer d’autres enjeux écologiques? Lumière sur le Territoire Zéro Carbone, une initiative a priori bien plus vertueuse que les autres.
Réveil sémantique préliminaire
Premièrement, il nous faut revenir sur l’enjeu sémantique qui se joue dans notre société actuelle. La définition et les mots ont un sens, et nous en avons perdu, en tant que société, une bonne partie :
- Quand est-ce que « la croissance » est devenue intrinsèquement « la croissance du PIB »? A Oxao, nous sommes pour la croissance, seulement pas (uniquement voire peu) pour la croissance du PIB. Croissance du bien-vivre ensemble, de l’espérance de vie en bonne santé, du nombre de personnes en accord avec leurs valeurs, de la solidarité… Bien sûr qu’on est pour la croissance!
- Quand est-ce que le mot « progrès » est devenu le mot « technologie et numérique »? On devrait plutôt poser la question de ce qu’est le progrès et non si l’on est pour ou contre le progrès.
Autre exemple : Innovation. Etienne Klein, philosophe des sciences, expliquait dans une conférence comment le mot « innovation » a remplacé le mot « Invention » petit à petit. Ce changement au cours de ces 2 dernières décennies est lourde de sens. Une invention a le pouvoir de changer radicalement nos points de vue sur un sujet. Le mot innovation vient quant à lui du latin « innovare » qui signifie « renouveler, revenir à ». C’est une dimension plus conservatrice d’ordre établi que ne l’est une invention. Alors ne nous méprenons pas : Innover ne suffira pas, innover aide à « ajuster ou mettre à jour », mais pas à créer un monde nouveau. Il nous faut inventer, et donc changer.
Parler non pas de compensation mais d’inversion?
C’est dans le même esprit que ce qu’a fait The Shift Project en évoquant non pas la compensation carbone mais la « contribution à la Neutralité Carbone » que nous parlons d’inversion.
Le réveil sémantique évoqué doit également se faire pour la « compensation ». Compenser revient à réparer un préjudice ou encore maintenir un équilibre avec un impact négatif en ayant un impact positif. La compensation carbone par exemple vise généralement à séquestrer du carbone pour compenser les émission de CO2 d’un autre côté.
Si la compensation ne suffira pas à stopper le dérèglement climatique, est-ce que la séquestration de carbone doit toutefois être également écartée des solutions? Ne doit-on pas INVERSER la courbe des émissions de CO2? Bien sûr que si. Ainsi, faisons en sorte que la sémantique n’obstrue pas notre vision sur des mécanismes qui peuvent être vertueux.
Faire la part entre émissions compressibles et incompressibles : d’abord la sobriété, et ensuite?
Même dans un monde le plus vertueux possible, des activités émettront du carbone.
Prenons un exemple rapide de compensation carbone d’un secteur émetteur de carbone : la compensation carbone pour le carburant diesel…
« Non mais allô » dirait Nabilla. Donc nous planterons des arbres pour stocker du CO2 pour que rien ne change au niveau de nos modes de consommation et de production? D’accord… et quid des recherches scientifiques qui disent qu’à un certain point, les arbres ne stockent plus mais émettent du carbone? Combien de CO2 émis avant que le CO2 soit stocké?
Pour expliquer dans 10 ans la fin du monde à votre enfant en 1 photo, il n’y a pas mieux 🙂
Prenons désormais un autre exemple : les circuits courts.
Les circuits courts ont des avantages : ils offrent de meilleures rémunérations aux agriculteurs y ayant recours, il propose souvent des légumes adaptés aux saisons, issue d’une agriculture biologique, raisonnée ou plus favorable à l’environnement.
Et pourtant, la logistique de distribution des circuits courts est bien plus émettrice de CO2 que ne l’est celle de la grande distribution. Faut-il pour cela condamner les circuits courts? Bien sûr que non! Alors comment faire? Innover (forcément), optimiser… d’accord. Et compenser? N’y aurait-il pas un intérêt ici à compenser les émissions de carbone? Doit-on refuser de stocker du carbone pour contrebalancer ces émissions, parce que « la compensation c’est du greenwashing »? Ca n’aurait pas de sens.
Oui, il nous faut faire évoluer nos modes de production, réduire si ce n’est arrêter la consommation de viande, prendre moins l’avion (et non pas attendre « l’innovation » de l’avion zéro carbone) et revoir notre relation aux transports. Mais ne soyons pas dupes, nous n’arrêterons pas d’émettre du carbone pour autant. Comment ferons nous si, comme il l’est proposé régulièrement, nous relocalisons nos activités industrielles ou si nous déployons les circuits courts à grande échelle?
Stocker du carbone d’une manière ou d’une autre est important, le temps nous est compté. Il reste aujourd’hui à choisir POUR QUOI on compense.
Choisir COMMENT on stocke du carbone : les haies, le couteau suisse du territoire
Et si les actions liés à la séquestration du carbone participaient aussi à la régénération de la biodiversité? C’est ce que nous avons par exemple mis en place sur le vignoble de Monbazillac. Stocker du carbone peut contribuer à favoriser la biodiversité, à limiter l’érosion des sols et même à protéger les cultures du gel (fortement touchées en 2021). Comment nous direz-vous? En plantant des haies!
Les haies (bocagères et diversifiées, évidemment) génèrent de nombreux avantages, aussi bien écologiques qu’agronomiques et bien sûr climatiques. Le vignoble de Monbazillac connait un paysage un peu « lunaire » : les vignes sont très développées et peu d’éléments naturels viennent compléter le paysage viticole du territoire. Côté biodiversité et écologie, le paysage est très uni, le risque d’érosion des sols est élevé et la biodiversité ordinaire ne peut se déplacer ni prospérer! Côté viticole, le gel de 2021, la disposition collinaire risquant l’érosion, les enjeux liés à la biodiversité et à l’écotourisme sont aujourd’hui peu développés.
Ainsi, plusieurs point gagnants peuvent être issus de la création d’un réseau de haies bocagères sur le vignoble de Monbazillac : Stockage de carbone, Agronomie et Biodiversité!
38 kilomètres de haies ont un sens écologique et agronomique à Monbazillac… soit 4 000 tonnes de CO2eq à séquestrer
Un stockage de carbone… dans des corridors de biodiversité… en milieu agricole : une bonne idée! Mais bien que les financements publics et les efforts privés / citoyens soient déjà présents, force est de constater qu’il y a un « manque » pour en créer plus. C’est ce à quoi peut servir le mécanisme de compensation carbone.
Nous avons déjà estimé où les haies apporteraient le plus de bénéfices à Monbazillac. 38 kilomètres auraient un intérêt à être plantés. Cela augmenterait de 150% la densité de haies et engendrerait le stockage de près de 4 000 tonnes équivalent carbone. Un premier pas pour un territoire zéro carbone.
Ne manque plus qu’à trouver le bon fonctionnement pour relier les acteurs liés au mécanisme carbone, financer les projets et les mettre en place.
Penser la séquestration dans une LOGIQUE DE TERRITOIRE : la clé
Nous en venons alors à notre sujet de prédilection : les projets de territoire.
Quoi penser d’un projet de territoire qui vise à favoriser la transition agro-écologique (ou l’autonomie alimentaire et les circuits courts) , favoriser le retour de la biodiversité ordinaire ou encore lutter contre l’érosion des sols? A long voire court terme, c’est positif! Comment favoriser l’émergence de ces projets de territoire quand les moyens à disposition sont insuffisants? Et comment ferons nous si nous développons les circuits courts et donc émettons plus de CO2 en répondant à d’autres enjeux? Les démarches territoriales répondent à ces questions.
Deux exemples probants de territoires zéro carbone existent déjà : les coopératives Climat Local en région Occitanie et la Coopérative carbone de la Rochelle. Ces démarches font participer des collectivités et entreprises dans le stockage de carbone dans les sols…sur le même territoire. Et on génère ainsi un cercle vertueux entre les entreprises agissant pour le climat et les bénéficiaires de ces actions au niveau local : les agriculteurs et la biodiversité.
Conclusion : Un territoire zéro carbone…pour la biodiversité : un vrai plus
Avoir un projet de territoire où l’on stocke du carbone pour compenser les émissions d’activités nécessaires et pourtant émettrices, c’est possible. Si les projets de stockage de carbone sont bien pensés, ils peuvent apporter des co-bénéfices : sur les paysages, la biodiversité, la transition agricole et même le chômage (emplois verts vous avez dit?)
Si les entités émettrices émettent bien des émissions incompressibles de CO2, il y a bien intérêt à les compenser. A nous de savoir quelles émissions doivent être évitées et quelles émissions peuvent être compensées : là est l’enjeu de la gouvernance de ce type de projet ou coopérative. A nous de savoir comment le stockage doit être réalisé (choisir comment on compense). Et à nous de mettre en lien ces sujets avec d’autres politiques publiques pour révéler des synergies entre enjeux stratégiques… de société.
Un territoire Zéro Carbone peut être une démarche vertueuse à la fois sur le plan climatique, écologique et agronomique. Il peut également être vecteur de création d’emplois. La démarche territoriale le permet, la mise en lien entre projets de stockage et émetteurs le garantit